Pianiste lituanienne émérite, Mūza Rubackyté naît à Kaunas sous l’occupation soviétique. Le 8 décembre prochain, en écho à l’exposition Guerres secrètes, elle nous livrera, à travers un programme musical sensible, une partie de son histoire.
Quel sens a pour vous le fait de jouer aux Invalides ?
Jouer aux Invalides est pour moi un évènement artistique. J’ai joué plusieurs fois dans ce haut lieu de l’histoire et de l’identité française. C’est un honneur mais c’est aussi la source d’une inspiration et d’une sensation d’élévation dans mon coeur d’artiste.
Quel écho personnel suscite en vous la thématique du cycle Guerres secrètes ?
Ce thème est très important et douloureux pour moi. Les atrocités de la Seconde Guerre mondiale sont bien connues de l’opinion publique ; en revanche, nous ne connaissons pas assez l’oppression et les génocides de peuples entiers, générés par le régime soviétique. Bien que nous ne soyons plus de cette époque, pas si lointaine d’ailleurs, où l’on avait le choix entre Hitler et Staline, il y a curieusement un certain manque d’intérêt pour ces années-là et très souvent une véritable ignorance résultant de la propagande soviétique et véhiculée par les communistes d’occident. On ne trouve que très peu de livres et de films sur ce sujet, or mon peuple, parmi tant d’autres, a subi une occupation et un génocide. C’est pourquoi je vous remercie de l’évoquer à travers ce programme musical.
L’Intelligentsia lituanienne a été déportée ou a fui dans les pays étrangers et toutes les familles lituaniennes ont été touchées directement ou indirectement. La mienne n’a pas échappé aux répressions. Une grande partie de ma famille a été déportée et nous avons tout perdu. Sur le passeport de mon grand-père figurait un cachet « ennemi du peuple »… Ma mère fut la fille d’un ennemi du peuple ! Même moi, née en Lituanie soviétique, j’ai été touchée. Engagée dans le mouvement d’indépendance de mon pays, j’ai été dénoncée au KGB, mon passeport m’a été retiré et pour des raisons politiques, j’ai perdu sept ans de ma carrière, ce qui est très long dans la vie d’un artiste. Je suis arrivée en France en 1989 afin de pouvoir accomplir ma mission d’artiste car, isolée en Union Soviétique, je ne pouvais avoir de contrat en dehors de ce territoire et j’ai dû tout reconstruire depuis le début. Pendant 50 ans, mon pays a été rayé de la carte du monde. L’histoire de mon pays, soit 1000 ans d’existence, a été effacée et déformée également jusque dans les manuels scolaires. L’interdiction de connaître le passé de notre nation faisait partie du plan diabolique visant à la construction de « l’homme nouveau ».
Aujourd’hui, je suis fière de mon pays et de mon peuple qui à eu le courage d’être le premier à montrer aux autres pays occupés la voie vers la liberté. Notre « révolution chantante » a été entendue et reprise par les autres peuples et a même ébranlé le mur de Berlin.
Comment avez-vous composé le programme musical que vous allez présenter au public le 8 décembre prochain ?
Le programme s’ouvre sur un chant lituanien intitulé Chère Lituanie de J. Naujalis. On l’appelle le 2e hymne national, hymne du cœur. Il concentre toutes les valeurs de notre identité nationale pour lesquelles nous nous sommes battus. Ce chant hommage était celui de la Révolution chantante.
Il y a également l’oeuvre de M.K. Ciurlionis. Il est la figure de la pensée libre, tant par sa musique que par sa peinture. Nous avons été tous marqués par le professeur V. Landsbergis, une grande personnalité de notre indépendance, qui nous a menés à travers la conscience nationale vers la liberté. Il est un spécialiste de M.K. Ciurlionis et ainsi cette musique incarne donc aussi un symbole de l’indépendance pour tous les lituaniens.
Chostakovitch est également une figure centrale de notre thème. En écrivant, à la demande du Parti, des cantates sur Staline, il a, à la fois été encouragé par le régime mais également rejeté car sa musique était souvent qualifiée de formaliste. Plusieurs de ses compagnons de route, comme son amie dramaturge V. Meyerhold furent torturés et fusillés… lui devint officiellement « ennemi du peuple », accusation qui, dans l’URSS des années 1930, précédait souvent une déportation. Lui ne l’a pas été, mais il a dû ajuster sa musique au goût des dirigeants pour survivre. Pourtant, pour nous professionnels de la musique ainsi que pour certains connaisseurs, la musique de Chostakovitch est très codifiée, de sorte qu’à travers celle-ci sont communiqués des messages de résistance à la tyrannie et d’espoir. Le cœur de ce programme musical est donc fondamentalement empreint de spiritualité et de désir de liberté.
Retrouvez Mūza Rubackyté en concert le 8 décembre à 20h, dans la cathédrale Saint-Louis des Invalides.
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