Eva Zaïcik, Révélation Lyrique des Victoires de la Musique Classique 2018, nous présente le programme du concert qu’elle donnera le vendredi 23 mars à 20h, accompagnée par Le Consort.
Présentez nous le programme que vous donnerez le 23 mars prochain.
Les histoires d’amour tragiques ont de tout temps inspiré les plus grands compositeurs. Nous vous présentons le 23 mars un panorama de ces œuvres, de la cantate française jusqu’à Purcell, en passant par des airs d’opéras de Haendel et Vivaldi. En guise d’introduction, le Consort jouera une sonate en trio de Jean-François Dandrieu. De ce compositeur, la postérité a retenu son traité d’harmonie et ses pièces pour clavier. Ses sonates en trio, beaucoup moins connues, sont pourtant magnifiques et nous adorons les défendre ! Nous interpréterons ensuite La Bergère de Montéclair, l’un des grands maîtres de la cantate française. Malgré son titre pastoral, cette cantate met en musique une histoire dramatique : celle d’une héroïne trahie, qui se retire progressivement du monde, tout d’abord auprès de la nature, puis dans le sommeil… éternel ? Nous terminerons ce chapitre par le très célèbre Dido’s Lament, extrait de l’unique opéra de Purcell. Reine abandonnée par le héros Æneas, expire ses derniers mots dans cet air avant de mourir de chagrin. Nous restons en Angleterre, en compagnie de Haendel, dans des pages instrumentales puis dans Scenes of Horror, extrait de Jephta, air empreint du désespoir extrême d’une mère ayant la vision du sacrifice dont sa fille va faire l’objet. Nous reviendrons ensuite à la cantate française pour interpréter Léandre et Héro de Clérambault. Les deux amants partagent un même amour mais sont séparés par un bras de mer. Malgré le temps menaçant, Léandre s’élance pour rejoindre sa belle mais meurt dans la tempête. Désespérée, Hero se jette dans les mêmes flots que son amant défunt. Nous reviendrons à Haendel, avec l’air de Juno, femme trahie et furieuse par les incessantes infidélités de son Dieu de mari. Junon jure de se venger de sa rivale Sémélé et maudit toute sa descendance. Elle résout d’invoquer les pouvoirs de Somnus, dieu du Sommeil, pour faire tomber de lassitude les paupières du dragon vigilant qui garde l’entrée de la demeure de Sémélé. Nous conclurons ce concert avec un air de furie, extrait de l’Argippo de Vivaldi, dans lequel la princesse Zanaïda, se pensant trompée, invoque les Dieux et les furies pour obtenir réparation.
Comment abordez-vous les personnages des grandes héroïnes tragiques à travers votre voix ? Quelle est votre sensibilité par rapport à ce répertoire ?
Je ne saurais expliquer pourquoi j’ai toujours eu un goût plus développé pour la musique dramatique et les rôles de tragédienne. Il se trouve que mon instrument me permet d’aborder ces personnages dont l’ambitus est assez large et dont les accents dramatiques permettent de s’exprimer puissamment. Mon premier coup de foudre musical fut l’écoute de la Passion selon St Matthieu de Bach. C’est sans doute cette musique spirituelle, intense et empreinte d’une profonde tristesse qui m’a donné le goût pour la musique dramatique.
J’ai un vif intérêt à jouer ces femmes outragées, furieuses, meurtries et désespérées. Il y a dans ces rôles une vérité et une force cathartique qui me touchent profondément et me permet d’aller chercher en moi des émotions et des couleurs fortes. Mes rôles favoris dans l’opéra baroque sont Dido (Purcell), Messaggiera (Monteverdi), Médée (Charpentier)… Dans le répertoire plus tardif, j’espère chanter un jour la Lucretia (Britten), Judith (Bartok), Carmen… des femmes fortes au destin tragique. Dans le répertoire du lied, je viens d’enregistrer avec mon pianiste les Kindertotenlieder de Mahler et les Chants et Danses de la Mort de Moussorgsky. Des propos profondément dramatiques donc. Mais je prends aussi beaucoup de plaisir à jouer des rôles comiques et à faire rire.
J’ai une sensibilité toute particulière pour le répertoire baroque car c’est le premier que j’ai abordé lors de mes études, ce qui est aussi plus prudent pour une jeune voix. Venant de la musique actuelle, j’ai perçu dans la musique baroque quelque chose de plus évident, d’immédiat et de facile à comprendre et à ressentir. Notamment dans le rapport à la vocalité : il y a une simplicité et une place donnée au texte qui est plus évidente que dans le bel canto ou la part belle est donnée à la voix et donc au « beau chant ». C’est cette voix lyrique et « pas naturelle » que nous développons pour nous faire entendre sans micro dans des grandes salles, qui peut effrayer les non connaisseurs du genre. Cela fut mon cas au début de mes études. Je n’appréciais pas vraiment ces voix desquelles je ne comprenais pas le texte. J’ai donc mis du temps à venir au répertoire lyrique de l’opéra classique et romantique, que j’aime désormais passionnément.
C’est peut-être pour cela que j’attache une importance particulière à toujours garder ce naturel tout en travaillant à développer ma voix et à être dans le style nécessaire à chaque période musical. Le beau chant pour moi ce n’est pas seulement faire du beau son, mais c’est savoir conter un texte musical et littéraire de manière intelligible. J’aspire à être au plus proche de la volonté du compositeur et de mes émotions, à chanter pour tout le monde, et toucher les gens sans qu’ils aient besoin de connaître les codes.
Quels sont vos prochains projets artistiques ?
Je suis actuellement en production pour encore quelques semaines à l’Opéra de Perm (Russie) pour la création du dernier opéra de Lully, Phaëton avec Vincent Dumestre et le Poème Harmonique, mis en scène par Benjamin Lazar. Nous le reprendrons à l’Opéra Royal de Versailles début juin. Dès mon retour en France nous donnerons ce concert au musée de l’Armée le 23 mars.
Le 24 mars je retrouverai le Poème Harmonique à La Chapelle Royale de Versailles pour les Leçons de Ténèbres de Couperin. Le 6 avril, je serai Maddalena dans l’opéra sacré de Draghi : Il Terremoto à le Chapelle Corneille de Rouen. Je consacrerai ensuite quelques semaines à la préparation des nombreux projets qui suivent. A savoir : un enregistrement avec le Consort d’extraits de Cantates Françaises va paraître l’an prochain chez Alpha, ainsi qu’un enregistrement de musique italienne avec le Poème Harmonique. Un trimestre 100% baroque donc en compagnie de mes deux familles musicales : Le Consort et le Poème Harmonique. La saison prochaine sera moins baroque.
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