David Diop, maître de conférences à l’université de Pau, a obtenu de nombreux prix littéraires dont le prix Goncourt des lycéens 2018 pour son deuxième roman, Frère d’âme (Seuil). L’auteur s’est prêté au jeu de nos questions pour nous livrer ses impressions sur le musée de l’Armée.
Parlez-nous de votre première visite au Musée.
J’ai visité pour la première fois le musée de l’Armée aux Invalides à l’occasion du tournage d’une émission télévisée au mois d’octobre 2018. Dans l’aile consacrée à la Première Guerre mondiale, j’ai été frappé par l’uniforme d’un tirailleur sénégalais portant l’ancre de marine brodée sur le revers du col. Cet uniforme est tantôt bleu ciel, tantôt couleur kaki. Mais un détail que je n’avais pu que m’imaginer à la lecture de la thèse de l’historien Marc Michel sur les tirailleurs sénégalais m’a profondément impressionné : dans un fourreau de cuir à la ceinture, leur coupe-coupe.
Dans La main coupée, Blaise Cendrars évoque une «guerre usinière», une guerre où la production et la consommation des armes lourdes atteignent une échelle industrielle jusque-là inédite. N’est-il pas étonnant qu’un coupe-coupe, une arme blanche, ait sa place à la ceinture de combattants essuyant le feu des obus et de la mitraille en continu ? Cet objet nous rappelle que le premier conflit mondial a été aussi une guerre du corps à corps. Si les poilus avaient au bout de leur fusil une baïonnette qu’ils surnommaient entre eux la « Rosalie », les tirailleurs disposaient également d’un coupe-coupe destiné à terroriser les ennemis allemands par l’imaginaire sauvage auquel il renvoyait.
Si vous pouviez posséder un objet du Musée chez vous, lequel choisiriez-vous ?
Ce serait une photographie qui m’a beaucoup touché. Sous-titrée « Dans une grotte sur l’Aisne, août 1917 », elle se trouve agrandie sur un mur de l’aile du Musée consacrée à la Première Guerre mondiale. Je l’avais repérée lors de ma première visite en 2018. Elle montre dans un moment de repos, –peut-être avant une offensive ?– un tirailleur sénégalais posant son bras sur l’épaule d’un poilu. Ce geste est le signe d’une grande complicité entre frères d’armes, quelle que soit leur origine. Il est étrange que la guerre qui, par définition, sépare les hommes puisse aussi les réunir dans une sorte de fraternité de souffrance. Lors d’un second tournage, cette fois-ci en septembre 2019, j’ai eu la chance de découvrir l’album d’où est extraite cette photographie. Cet album rassemble près d’une centaine de clichés pris sur différents champs de bataille de la Grande Guerre par un soldat français dont on ne connaît pas l’identité. Le responsable de la collection de photographies, Anthony Petiteau, m’a raconté l’histoire de cet album : œuvre d’un soldat français, il fut récupéré à la fin de la guerre dans les effets d’un prisonnier allemand. Toutes les recherches menées jusqu’ici n’ont pas permis de révéler l’identité d’un photographe de guerre dont le témoignage est si précieux. Peut-être est-il mort au combat ? Peut-être a-t-il été fait prisonnier par les Allemands ? Le saura-t-on jamais ?
Si vous ne deviez retenir qu’un personnage de l’histoire à associer au Musée ?
Le tirailleur sénégalais et le poilu qui prennent la pose bras dessus bras dessous au mois d’août 1917 m’ont profondément marqué, du fait de l’humanité qui se dégage du cliché, mais aussi du fait de leur anonymat. Ce sont les soldats les véritables acteurs de la guerre. Les visages que j’associe au Musée sont ceux des centaines, des milliers de sans-grades dont on a conservé les armes, les uniformes, les objets et les photographies indistinctes. Ce sont ces combattants qui font l’histoire sans pour autant que leurs noms apparaissent dans les livres comme ceux des généraux qui les ont envoyés à la mort et parfois à la gloire.
Cet article est paru dans l’Echo du Dôme n°47. Vous pouvez retrouver l’ensemble des numéros du magazine sur le site du musée de l’armée.
Photo d’illustration : Dans une grotte sur le front de l’Aisne, 1917, anonyme © Paris, musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pascal Segrette
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