La soprano, Katarina Jovanovic, nous présente dans cette interview, le programme musical qu’elle donnera lors du concert inaugural en écho à l’exposition Guerres Secrètes le 14 octobre à 20h en Salle Turenne accompagnée de Florent Héau à la clarinette et de Bruno Fontaine au piano.
Quel Echo éveille en vous le thème de Guerres Secrètes, en tant qu’artiste ?
Chaque artiste se bat dans une guerre perpétuelle, invisible et secrète. Avoir un talent est à la fois une bénédiction et une malédiction. Ce talent vous pousse dans une guerre sans fin, où l’on bataille pour trouver son propre chemin, celui de la vérité, celui de l’expression, de la couleur et du timbre exacts…
Comment avez-vous sélectionné les compositeurs pour le programme de ce concert ?
J’ai choisi ces compositeurs parce que chacun d’entre eux a combattu dans sa propre guerre, parfois intérieure et secrète, parfois plus ouverte, menaçante et violente. Chostakovitch a parfois gagné, il a été parfois battu ou forcé à faire des compromis. Britten a mené une guerre plus intérieure, plus subtile. Sa musique déchire le tissu de l’ordre social établi avec élégance. Il transmet une forme presque calme de la force. Une force qui change nos êtres. Britten admirait énormément Chostakovitch, et le considérait comme « un géant parmi les compositeurs, un véritable artiste dans toute la magnificence et la beauté de son âme tourmentée ».
Pouvez-vous nous présenter ce programme musical et nous éclairer sur le contexte historique de la guerre froide ?
Les Cinq Satires de Chostakovitch (« Images du passé ») pour soprano et piano, Op. 109, ont été composées en 1960. Les textes sont des poèmes satiriques du poète russe Alexandre Mikhaïlovitch Glikberg, qui écrivait sous le pseudonyme de Sasha Chyorny. Après son huitième Quatuor sinistrement autobiographique et son adhésion forcée au Parti Communiste de Staline, Chostakovitch écrit ces Satires comme pour relâcher sous une forme humoristique la pression qu’il subit. La soprano Galina Vishnevskaya et Rostropovitch ont donné la première des Satires le 22 février 1961. Elles ont été accueillies avec un tel enthousiasme que l’ensemble du cycle a été rejoué en bis. Cependant, Vishnevskaya n’a pas été autorisée à enregistrer les chansons. La diffusion tant par la radio que par la télévision a été également interdite.
C’est Chostakovitch qui a présenté Mstislav Rostropovitch à Benjamin Britten à Londres en 1963. Ils sont très vite devenus amis. Rostropovitch ne parlait pas anglais et Benjamin Britten ne savait pas le russe. Ils avaient trouvé un autre niveau de communiquer, à travers la musique. Rostropovitch a exprimé les sentiments qu’il éprouvait envers son ami britannique dans une interview, en disant : « Benjamin Britten – une forte et claire personnalité. Il rayonnait de l’intérieur – comme un saint, comme un saint. Je crois que Britten est apparu dans ma vie juste à temps ». Britten a écrit de grandes œuvres pour Rostropovitch et Vichnevskaïa : Cello Symphony, Echo du poète et War Requiem, écrit en mémoire des victimes du fascisme, comme un appel pour la paix dans le monde et une représentation des horreurs de la guerre.
Echo du Poète est un cycle de chansons composé par Benjamin Britten (1913-1976) en août 1965 lors d’une visite en Union soviétique. Il prend pour cadre six poèmes du poète russe Alexandre Pouchkine (1799-1837), dans leur langue originale. Le cycle est dédié à ses amis russes Galina Vishnevskaya et son mari Mstislav Rostropovitch. L’Echo du poète a été donné pour la première fois en public par ces deux artistes au conservatoire de Moscou, en décembre 1965. Vishnevskaya a dit que Britten « avait réussi à pénétrer au cœur même des poèmes », en dépit du fait que le compositeur savait peu de russe et avait travaillé à partir d’une édition bilingue de la poésie de Pouchkine. Elle s’est rappelé une soirée mémorable de l’automne 1965, au cours de laquelle le ténor Peter Pears et Britten ont « essayé » ces chansons à la Maison Pouchkine : «La chambre était enveloppée d’une semi-obscurité, éclairée seulement de deux bougies. Au moment où Ben [Britten] a commencé à jouer le prélude de « Lignes écrites pendant une nuit blanche », qu’il avait écrit pour suggérer le tic-tac d’une horloge, l’horloge de la Maison Pouchkine a commencé à sonner les douze coups de minuit en synchronisation avec la musique de Ben. Nous avons tous été pétrifiés. Je me suis arrêtée de respirer et je sentais mes cheveux se hérisser. Le portrait de Pouchkine regardait droit dans les yeux de Ben. Il était secoué et pâle, mais il n’a pas arrêté de jouer. »
Aaron Copland est né le 14 novembre 1900 à Brooklyn, New York. Il est le plus jeune des cinq enfants de Harris et Sarah Kaplan. Ses parents ont émigré de Russie en Amérique pour échapper aux persécutions antisémites. Au cours de leur voyage, ils sont passés par l’Angleterre, où un agent des services d’immigration a mal orthographié Kaplan qui est devenu Copland. Harris Kaplan a décidé d’adopter cette nouvelle orthographe pour leur nouvelle vie en Amérique.
À quinze ans, Copland prend la décision de devenir compositeur. Il vient en France pour étudier à l’École d’été de musique pour étudiants américains de Fontainebleau, sous la tutelle de Nadia Boulanger. Après trois ans en France, il retourne à New York et se met au travail pour trouver son identité musicale. Plus précisément, pour trouver un « son américain ».
Il voulait trouver une voie qui lui soit propre, un son américain, comme Moussorgski, Elgar et Debussy avant lui respectivement en Russie, en Angleterre et en France. Afin de créer un style musical américain, il a incorporé des chansons folkloriques et des rythmes de jazz de la musique populaire de son époque, ainsi que les dissonances agressives des machines et de la vie urbaine qui l’entouraient.
En cherchant ce son, il trouve la musique d’une voix : celle de la poétesse Emily Dickinson. Dans son cycle de chansons Douze Poèmes, Aaron Copland réunit la poésie d’Emily Dickinson et sa musique dans un mariage extraordinaire de genres artistiques. Dickinson aborde des thèmes humanistes universels : la vie, la mort, la nature et Dieu. Elle est fortement influencée par Ralph Waldo Emerson, les sœurs Brontë, et Shakespeare.
Les Douze poèmes d’Emily Dickinson ont été créés à New York, le 18 mai 1950, par la soprano Alice Howland et Copland lui-même au piano. Les mélodies ont d’abord été accueillies avec un enthousiasme modéré, mais, au fil des années, les critiques et le public ont découvert la beauté de cette musique, et ce cycle est maintenant considéré non seulement comme l’une des meilleures œuvres de Copland pour voix et piano, mais également comme l’un des meilleurs cycles de chansons du XXe siècle.
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Image d’illustration © Milovan Knezevic
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